C'est plus facile d'en parler quand ça va mieux


Eric s’est récemment installé en tant qu’éleveur. Avant ça, il a été le berger de Gérard Tauriac pendant 13 ans. Il a connu la prédation de l’ours et du loup :

« J’ai eu les deux en même temps à un mois et demi d’intervalle. Il n’y avait aucun souci pour moi d’être en montagne, mon truc c’est les brebis, les cailloux, la verdure. J’essayais de faire bien, de faire au mieux, je faisais toujours les choses plein pot. Pendant un mois sur quatre j’ai réussi à faire en sorte de regrouper les bêtes et à changer quelques trucs dans la gestion du troupeau en estive. Je suis un fou furieux qui ne fait que ça. J’ai réussi à modifier quelques trucs et à faire en sorte que les brebis restent un mois sur une seule couche et ensuite pendant 2 mois et demi elles allaient sur 3 à 10 couches différentes.

C’est une des 10 montagnes les plus dure physiquement parlant. Il y avait beaucoup de passage, jusqu’à 250 personnes par jour.

Après 2010, le groupement a crée un double poste, c’était après une grosse attaque et avec l’arrivée du loup. C’était la seule solution correcte de faire un double poste. En double poste ça permet de faire le travail plus correctement, même s’il y en a un qui rentre plus tard le soir ou quoi, l’autre peut se reposer ou prendre le relais. Sinon le berger itinérant peut aider mais ce n’est qu’un pansement pendant 15 jours et puis ça change tous les 3 jours et ils ont la partie facile. Ils font ce qu’ils peuvent, ce n’est pas un reproche. Sachant que c’est l’argument majeur des pro-ours avec la pastorale pyrénéenne, s’ils n’avaient pas de partis pris ce serait plus simple. Quand t’es seul tu cours partout, tu ne dors plus, à deux c’est plus facile. Ça n’a rien changé, on faisait juste du meilleur boulot. Tu fais tout correctement tout en sachant que du jour au lendemain tu peux te taper 5h d’expertise et réfléchir à l’attaque, à comment ça s’est passé. Quand ce n’est pas cohérent, ce n’est pas validé, il faut bien préparer avant.

Il y a des bergers qui se font critiquer par l’éleveur : « tu aurais pu faire ci ou ça », il y avait toujours un éleveur qui critiquait un berger, ça s’est mal passé. Si l’éleveur n’est pas d’accord et si chacun raconte ce qu’il veut, ça part en sucette, le berger arrête et s’il finit la saison c’est cool. Mais il est sur les nerfs, le but c’est quand même que tout le monde finisse entier.

La majorité des jeunes d’autres milieux viennent faire ça par choix de vie, ce sont des néo ruraux la plupart du temps, vis-à-vis de l’éthique, de la liberté, les bergers sont toujours plus philosophe que d’autre. On est des proies faciles pour faire mieux avec tous les arguments, la culpabilité et le rêve d’un monde meilleur. J’étais pro-ours, le rêve s’écroule vite.

Ce sont des mondes qui s’opposent, ils construisent des arguments contre des innocent qui boivent ce qu’on leur donne à boire, on est presque considéré comme des pollueur ou des mal traiteur d’animaux, on monte, on exploite, on tue. Mais le reste dehors, la nature, il n’y a pas de soucis.

Ce qui est dur aussi, c’est que les chiffres officiels ne sont jamais bon. Les dégâts au niveau des ovins, bovins, équins sont faussés parce que ceux qui manquent ne sont pas reconnus et il y a ceux qui ne veulent plus faire d’expertises et les bêtes que tu rates (montagnes difficiles).

Encore, si ce n’était qu’une attaque de temps en temps, ça ne me pose aucun souci, je peux supporter deux par saison mais deux par jourCe n’est plus un métier. D’autant plus qu’il y a moins de subventions pour les bergers les plus anciens, les vieux bergers vont coûter plus chers.

Des anecdotes j’en ai pleins vu que le loup attaquaient tous les 2/3 jours d’affilés. Je buvais beaucoup de café, je ne mangeais presque plus, je travaillais même en dormant, comme à la veille d’un examen, tu rumines, tu ne vis pas viens. J’avais la chance d’avoir un Groupement Pastoral facile, il y avait une certaine solidarité. Le plus dur pour les éleveurs c’est d’imaginer le pire, ils attendent la fin de la saison pour avoir le compte. Ce sont des mois de stress. Quand t’as une expertise, tu fais des journées pleins pots (5h-22h) avec du boulot en plus, sans compter ce que l’éleveur peut te faire ressentir. C’est vraiment l’angoisse jusqu’à la fin de la saison. Pour le berger c’est un quotidien merdique, mais les échanges avec les collègues permettent de se sentir soutenu.

Les 2/3 des estives ce n’est pas possible de les protéger (pour les estives à brebis). Pour le tiers restant ce serait possible lorsque les conditions sont réunies, mais au final tu repasses la bête [l’ours] au voisin, ce ne sont que des pansements. C’est comme avec le cambrioleur, tu surprotège ta maison, il en prend une autre, tu ne fais que repousser le problème aux autres.

En Isère, c’est un truc tellement bordélique pour avoir droit à un tir de loup, pendant ce temps il continue d’avancer. A quel moment on va dire que c’est trop tard ? Il y a 20% de loup en plus par an et on a le droit à en tirer 5%. On est en train de protéger des bestioles qu’il faudra tirer après. En temps normal, quand il y a trop de bestioles, elles sont tirées. Dans 30 ans on va se retrouver à avoir le droit de les tirer : c’est la logique écologique. Ils croient qu’ils protègent une espèce mais au final on finira par manger de l’ours en boîte peut être…

Il y a d’autres choses bien plus graves, on a perdu un paquet d’espèces et il n’y a pas de programmes pour ça… »



21 Juin 2016